Les Français sont en train de se poser la question de savoir s'ils ne devraient pas imprimer sur les paquets de cigarettes (dont le prix ne cesse d'augmenter) la photo d'un fumeur atteint du cancer du même nom ou celle d'une tumeur du poumon. L'effet sera-t-il suffisamment dissuasif pour décourager les futurs consommateurs ou faire baisser la fréquence d'inhalation des adeptes de Jean Nicot ( 1530 - 1600 ). Il y a quelques années, l'apparition du désormais célèbre "Fumer tue" fut un premier pas. L'idée de la photo n'est pas bête et pourrait faire des petits. On ferait imprimer sur les sachets de bonbons des photographies de dents gâtées et, sur les étiquettes des bouteilles de bière ou de whisky, des clichés d'accidentés de la route perdant leur derniers litres de sang sur le bas fossé. Sur chaque emballage plastique, chaque canette, chaque bouteille d'eau minérale, une vue de décharge publique où s'entassent pour les siècles des siècles les rebuts de notre société d'hyperconsommation. Sur nos T-shirts, casquettes et chaussures de sport, on verrait le portrait des enfants esclaves qui, dans les caves quelque part en Asie, pour quelques centimes d'euro, cousent de leurs petits doigts les vêtements que nous porterons seulement quelques fois avant de les bazarder parce que le coloris ne sera plus de saison. il faudrait aussi apposer sur chaque litre d'essence l'image d'une mouette mazoutée et sur chaque baril de pétrole celle des terres inondées par les océans qui vont bientôt déborder suite au réchauffement de la planète, ou celle de populations martyrisées par des guerres dont le seul but est de préserver l'approvisionnement en or noir des pays les plus riches et les plus égoïstes du monde. Excusez moi, je m'énerve. Au fond, la meilleure solution serait peut-être, tout simplement, de faire imprimer sur les billets de banque cette mention: "Peut nuire gravement à l'humanité".

On m'a toujours dit qu'on rêvait en noir et blanc. Or la vie, elle, est bien en couleurs. Je ne rêve pas! Et pourtant, ça n'a pas toujours été le cas. Il y a une période de l'histoire où tout semble s'être passé en noir et blanc. Cela va, en gros, de l'invention de la photographie à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et même, peut-être, jusqu'aux années cinquante. Hitler ne me semble jamais avoir eu les joues roses, pas plus que ses sinistres collaborateurs. Leurs chemises brunes, Violette Nozière ou la Croisière jaune, tout cela a toujours été gris. Gris comme les poilus de 14, les bolcheviques de 1917, comme les ouvriers et les mineurs de Zola. La couleur est réapparue après la guerre, lentement, mais sûrement, avec l'assassinat de Kennedy, Woodstock et tout le reste. Même la guerre du Vietnam n'avait pas tout à fait choisi son camp. Le plus étonnant dans cette affaire est que les siècles d'histoire qui ont précédé sont, eux, en couleurs. Que dis-je, les siècles? Les millénaires ! Lascaux? C'est en couleurs. L'Égypte ancienne et ses hiéroglyphes? En couleurs. la Grèce antique, Rome, le Moyen Âge? Tout en couleurs. la Renaissance, les XVIIe et XVIIIe siècles? Encore de la couleur! Et puis, voilà que Monsieur Niepce va tout flanquer par terre avec son invention (à deux balles) de la photographie. Une belle iniepcie, mon cher Nicéphore! Vous avez réussi à priver le monde de sa couleur pendant près de 150 ans, avec vos petits clic-clac. Et comme pour vous encourager, les peintres, qui jusque-là nous avaient restitué la vie de leur époque avec ressemblance et une palette aux teintes infinies, se sont mis à peindre des cubes, des taches ou des lignes. Comme s'ils voulaient nous priver d'images fidèles. Les Canaletto, Bruegel, Millet ont été remplacés par Braque, Miró et Mondrian. Cette sombre période est aujourd'hui révolue et la couleur nous est revenue. Un peu comme lorsque, après avoir avoir rêvé (en noir et blanc), nous retrouvons avec soulagement les teintes de notre chambre à coucher. Mais alors? Ces 150 ans n'auraient-ils été qu'un long cauchemar dont nous venons seulement d'émerger?

Les vrais amateurs m'ennuient parfois. Moi, j'aime le chocolat au lait, mais j'ose à peine le dire en société parce qu'il se trouvera toujours un amoureux de ce mets délicat dans les parages qui va se mettre à me faire les gros yeux en me disant que les vrais amateurs de chocolat ne consomment que du chocolat noir à 85% de cacao, et qu'il a un jour dégusté, euh... pardon, croqué un chocolat à 90% et que ça, mon cher ami, je peux vous dire que c'est quelque chose! Entendant ça, un buveur de café vous tombe sur le râble en arrêtant net votre main qui allait laisser choir un morceau de sucre et verser une goutte de lait dans la tasse. Hérésie ! un vrai amateur de café le boit noir et sans sucre. Avec le sucre, vous perdriez tous les arômes subtils de la torréfaction, mon pauvre vieux. A cet instant, vous êtes subitement submergé par une odeur pestilentielle, c'est le spécialiste des fromages qui vient vous parler. Quoi, vous laissez la croûte? le meilleur! Sachez, mon jeune ami, que la quintessence du fromage, c'est la croûte et je ne vous parle pas de ces fromages pasteurisés pour coiffeurs efféminés ou danseurs mondains. Nous autres, les vrais amateurs, ne consommons que des fromages fermiers au lait cru, très faits et un peu piquants, de ces fromages à l'enveloppe devenue brune et suintante et à la pâte fourmillant de petits vers. C'est alors, au bord du malaise, qu'une grosse main vous saisit par le coude et vous entraîne au salon. Il s'agit d'un des pires de sa race: le redoutable amateur de cigare. Il fume des barreaux de chaise qui donneraient la courante à une armée de culs-de-jatte. Son haleine a été classée au rang des armes chimiques interdites par la convention de Genève. Dans le cigare, mon p'tit, vous avez trois parties: le foin, le divin et le purin. Le véritable amateur de cigare va jusqu'au terme, il suce le purin jusqu'au bout du mégot. Veillez à ce qu'il vous parle à l'oreille, car s'il est face à vous, les postillons brunâtres dont il ne manquera pas de vous bombarder risquent de faire des trous dans les revers de votre smoking. c'est en général à ce moment (où vous pensiez avoir touché le fond) que la maîtresse de maison vous emmène vers la bibliothèque où elle rassemble tous les convives pour les faire assister à la projection des diapositives (environ sept carrousels) réalisées par son mari qui fait de la photo en (vrai) amateur. pendant que tout le monde s'installe, un type imposant vous dit sa passion pour l'oeuvre de Guan Han Qing, sans doute le plus grand dramaturge des Yuan, mon ami, car le spécialiste du théâtre sait que le XIIIe siècle mongol a marqué de son empreinte l'évolution des arts de la scène orientaux jusqu'à nos jours. Le vrai amateur de théâtre aime les spectacles rasoirs et lit Le Monde diplomatique avec autant de facilité que nous feuilletons Voici. Le projectionniste éteint la lumière, mes voisins se taisent après avoir dit "Aaaaaaaah !" et je ne pense plus qu'à cette chose; le vrai amateur de tranquillité ne se laissera plus jamais, à l'avenir, emmerder par les casse-couilles.