Le coffret était là, posé entre quatre yeux avides, supportant sans sourciller l’haleine infecte des deux protagonistes se faisant face. Le premier était un homme mince voire squelettique, possédant un visage grossièrement pointu et un nez d’oiseau. Dans ses yeux se reflétait la fourberie et le vice. Assis face à lui, le second était obèse, large d’épaule et sans doute également très fort. Ses cheveux gras recouverts d’un tricorne tombaient par mèches sur ses yeux puant l’ivrognerie. Derrière le mince se tenait une paire de forbans sales et armés jusqu’aux dents près à défendre leur employeur si l’imposant acheteur tentait une manœuvre belliqueuse. Les ombres de tout ce petit monde étaient projetées aux mur d’une pièce rappelant une cave par les flammes d’une seule et unique torche. L’objet de la vente était contenu dans le coffret, un petit objet d’ébène, poli et lustré, décoré de fils d’argent et de gravures élégantes. Rien que le contenant devait valoir une petite fortune, mais il n’intéressait cependant aucunement l’acheteur. D’une main déformée par les bourrelets, celui-ci posa sur le coffret une bourse d’où s’échappaient quelques bruits de métaux s’entrechoquant joyeusement. Le receleur tendit son bras à la vitesse d’un rapace plongeant sur sa proie, saisissant le paiement et le fourrant dans une poche intérieur de sa longue veste de velours. Avec un sourire ravi, il se leva rapidement et se détourna de son client, faisant quelques pas vers une porte qu’il passa sans plus d’histoire, ses gardes le suivants silencieusement. L’autre, resté dans la pièce, plaça quant à lui le coffret sous son bras et s’en alla quelques minutes plus tard.

Tentant de ne pas trébucher, l’imposant individu se déplaçait d’un pas lourd dans une rue sombre bordée par un vaisseau mineur du réseau d’égout de Logue Town. Il était le bras droit d’un capitaine pirate en quête de gloire, le sous fifre préféré d’une brute épaisse meilleure à frapper les prostituées que les marines déterminés. A vrai dire, avec un peu d’ambition, lui aussi aurait put devenir capitaine d’un navire brigand. Mais le commandement, la logistique, le charisme…tout ça n’était pas fait pour lui, recevoir les ordres lui convenaient parfaitement pour le moment. Serrant plus fort le coffret contre son flanc, il se demandait ce qu’il contenait. Le capitaine avait cédé une petite fortune pour entrer en sa possession, une somme d’argent avec laquelle il aurait pu acheter un navire rendant ridicule l’actuelle barque sur laquelle ils étaient contraints de naviguer. Le désir de soulever le loquet pour observer ce que le conteneur pouvait bien transporter taraudait tellement le pirate qu’il n’entendit pas de suite les pas précipités se dirigeant dans sa direction. Lorsque le son parvint enfin à ses oreilles, il dégaina rapidement son sabre tout en se retournant, laissant par la même occasion tomber le coffret dans le petit canal dans un geyser d’éclaboussures. Trop tard, le voleur enfonçait la lame effilée de sa dague dans le cou du forban qui s’écroulait dans un gargouillis indicible. Le détroussant rapidement, le meurtrier s’en alla sans demander son reste, ignorant qu’un trésor d’une valeur inestimable s’éloignait, lui, dans le sens inverse, emmené par le courant d’un cours d’eau nauséabond vers l’immense étendue de l’océan.


- Hep vous la bas ! Oui vous, l’espèce d’infirme avec une tronche de limace ! Vous devriez vraiment arrêter d’ennuyer cette charmante demoiselle, ce n’est pas avec le charisme d’un clochard bourré qu’on peut prétendre à si belle compagnie.

Ses yeux louchant prouvaient que l’ivrogne devait être entrain de réfléchir. Quand on en avait pas l’habitude, ce loisir donnait vraiment la migraine, surtout que beaucoup de termes dans le monologue du blondinet sortait du cadre restreint de son vocabulaire usuel. Une fois l’insulte plus ou moins saisie, le dragueur puant l’alcool descendit rapidement de son tabouret pour se jeter sur le fou ayant osé le ridiculiser devant sa future conquête. Lançant son poing en avant, il ne rencontra que le vide, son opposant l’ayant habilement esquivé pour aller déposer un baiser sur la main de la jeune fille rigolant aux éclats. La rougeur de son nez s’étalant à tout son hideux visage, le pochetron humilié tenta une seconde offensive, se saisissant d’une chaise et entamant l’action de l’écraser contre le dos du dandy qui ne le regardait même pas. Doué d’un instinct particulier, ce dernier se jeta violemment en arrière, enfonçant son coude dans l’estomac du trouble-fête pendant qu’il rattrapait habillement la chaise en chute libre de sa main disponible. Sans vraiment comprendre le fin mot de l’histoire, le malheureux ayant déjà perdu toute dignité tomba dans un coma soudain et s’écroula sur les planches de la taverne. De son côté, Hallelujah reposa tranquillement la chaise à sa place et retourna vers l’objet de ses pensées.

- Ma chère, la profondeur de votre regard n’a d’égal que le flamboiement de votre chevelure. Auriez-vous soudoyé les dieux pour naître si ravissante?

Restant coi devant un tel florilège d’inepties sonnant pourtant si bien à l’oreille, la beauté rousse n’eut pas le temps de répliquer, forcée à l’immobilité par l’étrange individu lui déposant soigneusement une rose dans les cheveux. Son teint blême se colorant de rouge, la belle observa un instant son prétendant. Il n’était pas grand mais pourvu d’un tel charisme que personne n’avait aucune chance de l’occulter. Vêtu étrangement, il n’en restait pas moins élégant. Son visage était fin et beau, encadré par une tignasse blonde chaotique et surplombé d’un chapeau haut de forme d’un noir d’encre. Le tout peignait un tableau haut en couleur d’un personnage semblant aussi excentrique moralement que d’apparence. Il lui parla de nombreuses heures mais elle ne vit pas le temps passé. Lui faisant instinctivement confiance, elle en vint à lui raconter sa propre vie, son existence dans les moindres détails, ses peurs et ses envies, ses rêves les plus fous et ses désirs inassouvis. La lune sembla bientôt fatiguée et commença à lentement chuter vers l’horizon, laissant sa place à un soleil reposé et de bonne humeur. Accrochée à son bras, la belle se laissa tranquillement ramener chez elle par son nouveau prince charmant, songeant à la longue vie qui l’attendait à ses côtés. Arrivée sur le pas de la porte d’un immeuble guindé, elle daigna enfin lâcher le romantique qu’elle invita à se joindre plus longuement à elle.

- Je suis navré mais je ne peux rester et tu ne peux m’accompagner douce Elia. Une vie d’aventure et de danger m’attend et je ne serais certainement plus en ville ce soir même. Puisses tu trouver meilleur parti que moi. Adieu !

Faisant habilement rouler quelques fumigènes dans la paume de sa main, Hallelujah les lança au sol, provoquant un nuage de fumée dans lequel il disparut pour ne plus jamais réapparaitre sous les yeux de la beauté médusée. S’il aimait aimer, il n’en avait vraiment pas le temps. Marchant d’un pas pressé dans les rues d’une Logue Town encore à moitié endormie, Hallelujah, le surnom qu’il s’était choisi pour éviter les répercussions de ses activités de mercenaire sur sa famille, pensait à toutes ces choses qu’il lui restait à accomplir. Ayant profité d’un convoi marchand présidé par l’entreprise familiale pour faire route vers la célèbre île d’Eastblue, le magicien pensait y rencontrer rapidement des utilisateurs de fruits démoniaques. Depuis trois jours qu’il avait débarqué, encore rien de surnaturel en vue cependant, au grand désespoir du blondinet se rendant maintenant plus compte de la difficulté de sa tâche. Il irait à la caserne en ce jour, la marine étant un repère d’individus aux immenses pouvoirs ainsi qu’un entrepôt d’archive concernant les faits les moins dicibles du passé proche ou lointain. Perdu dans ses pensées, le marginal faillit ne pas remarquer l’étrange coffret flottant paresseusement dans un canal bordant la ruelle qu’il empruntait. Se saisissant d’un bâton soigneusement divisé en trois et rangé sous sa grande veste couleur de jais, il fit en sorte d’attirer méticuleusement l’objet vers lui, l’attrapant enfin quand il arriva à sa portée. Curieux, Hal’ ne put s’empêcher d’ouvrir le conteneur pour y découvrir son fabuleux trésor.

Semblable à une immense framboise d’un bleu abyssale, le fruit démoniaque, car c’en était un, était aussi original d’apparence que les légendes l’expliquaient. Ces fruits étaient d’une telle rareté qu’un seul coutait souvent à son acheteur plusieurs dizaines de millions de berrys. Ils donnaient à ceux les ingurgitant un pouvoir unique et souvent dévastateur. Le mythique Barbe Blanche avait la capacité de provoquer des séismes, son lieutenant pour lequel il est mort possédait le pouvoir de se transformer totalement en feu et de le contrôler. Cependant, certains fruits donnaient parfois des capacités à l’utilité discutable, en est la preuve l’existence du fruit de la malchance. L’esprit du voyageur ne bouillonna guère que quelques instants avant que ses dents ne croquent dans l’aliment mythique. Il avait trop souvent rêvé de devenir lui-même un sujet de rédaction pour son livre qu’il n’y avait aucune hésitation à avoir. Ce à quoi il n’avait pas rêvé cependant était le goût immonde qui agressa ses papilles après la première bouchée. Il n’avait aucun doute sur le fait qu’un fromage moisi servant d’urinoir à un clodo serait beaucoup plus évident à déguster. Se retenant de vomir à chaque nouvelle portion avalée, Hallelujah vint finalement au bout de son festin improvisé. Il ressentit moralement plus qu’il se rendit compte qu’un changement venait de s’effectuer en lui. Posant instinctivement une main sur le sol, il se concentra sur son image tout en essayant de déclencher un quelconque pouvoir. Une lueur bleue déferla bientôt dans ses doigt, se propageant dans le sol pour le fissurer dans une petite et soudaine explosion.